RICHÁRD TESTVÉR KONGÓI BETEGEKÉRT ALAPÍTVÁNY

Lumière au cœur des ténèbres       /Texte et photos de Dieter Telemans/

Au Congo, l’ophtalmologue hongrois, Frère Richard Hardi, est le seul à parcourir l’interminable brousse congolaise pour apporter la lumière dans la vie de nombreux habitants de ces régions. “Ce n'est pas parce qu'ils vivent dans une région aussi reculée qu'il faut les abandonner à leur triste sort. Ici j'ai le sentiment de vraiment pouvoir faire la différence.”

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Au-delà de Coca-Cola

Lorsque nous ouvrons la porte du local qui sera utilisé comme salle d’opération un gros rat s’échappe à notre approche.

A l'intérieur sévit une odeur rance, celle des excréments de la colonie de chauves-souris qui habite dans le toit du presbytère pendant la journée. Au plafond, un essaim de guêpes tourbillonnent autour de grands nids. Personne, et certainement pas un ophtalmologue, ne songerait à opérer dans de telles conditions. Mais c'est compter sans le docteur Richard Hardi ! "C'est parfait !" déclare-t-il avec enthousiasme. "J'ai déjà opéré dans des conditions bien pires que celles-ci, nous avons tout au moins trouvé un bâtiment en briques.

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Il nous faut obturer toutes les fentes pour empêcher les mouches d'entrer." Nous nous trouvons dans un presbytère, dans l'un des villages qui composent Pania-Mutombo, une région de la taille de la moitié de la Belgique, dans la province du Kasaï oriental, tout juste au centre de la République démocratique du Congo. Ici nous sommes hors de portée des relais GSM et il n’y a pas de Coca-Cola. Ce sont deux critères qui qualifient de nos jours l’isolement d’une région partout dans le monde. Les habitants n'ont que peu de contacts avec le monde extérieur. Un large affaissement du sol est le dernier vestige d'une route qui autrefois a dû traverser la région. Le dernier véhicule avec à son bord quelques chercheurs de diamants est passé ici il y a plus de 10 ans. Nul ne se rappelle d'une éventuelle visite d'un ophtalmologue mais cela doit remonter à la période précédant l'indépendance.

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Le droit aux soins médicaux
Le trajet jusqu'à Pania-Mutombo est une véritable aventure. Depuis Mbuji Mayi, la ville où le docteur Hardi a son centre ophtalmologique, nous devons d'abord rouler pendant deux jours sur une piste dans un état abominable pour arriver à Lusambo. Et là nous attend un périple de plus de 11 heures dans un canot sur le fleuve Sankuru, dans une nature imposante mais sous un soleil de plomb.

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Tout juste après Lusambo nous découvrons les derniers vestiges d'une époque révolue : la coque métallique d'un bateau dépasse des eaux rougeâtres de la rivière et le long de la rive se trouve ce qui fut une imprimerie mais elle est à l'abandon depuis bien longtemps déjà. Et derrière ces vestiges commence le paradis des perroquets à queue rouge et des macaques. Qu'est-ce qui amène le docteur Hardi à pénétrer aussi profondément à l'intérieur des terres congolaises, et ce plusieurs fois par an ? “En fait, j’ai plus que suffisamment de patients en ville, mais je sais que beaucoup de patients n’arrivent jamais à Mbuji Mayi et je ne puis abandonner les habitants d’endroits aussi isolés à leur triste sort.” Richard travaille au Congo depuis 1995 et sa réputation le précède souvent actuellement. Le Frère de la Communauté des Béatitudes, un mouvement catholique charismatique créé en France en 1973, a déjà soigné des patients de toutes les régions du Kasaï oriental. Lorsque la guerre a éclaté en 1996 entre les rebelles de Kabila et l'armée gouvernementale de Mobutu, il a décidé de rester au Zaïre (comme le Congo s'appelait alors) avec les autres membres de sa communauté, même si le front était proche de l'hôpital. Et comme les opérations oculaires n'étaient pas prioritaires à l'époque, il s'est familiarisé avec la chirurgie de guerre. "J'ai même appris à arracher des dents,” nous dit Richard en souriant pour masquer les horreurs de la guerre.

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 Le tam-tam fait son travail

Les missions comme celle de Pania Mutombo requièrent des mois de préparation de la part de toute l'équipe congolaise. Pendant des semaines, des travailleurs communautaires parcourent à vélo tous les villages longeant le Sankuru pour sensibiliser la population locale. Les directeurs des écoles, les prêtres, les chefs de villages sont informés du passage du canot de Frère Richard. La nouvelle de sa visite se répand dans la savane, dans les forêts et le long des cours d’eau pour atteindre en fin de compte des villages jusqu’à des dizaines de km plus loin.

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Le tam-tam a fait son travail semble-t-il car de nombreux patients affluent de toutes parts dans le village à proximité du presbytère. Beaucoup sont âgés, aveugles ou malvoyants depuis des années à cause d'une cataracte liée à l'âge (une opacification du cristallin), ou du glaucome (une élévation de la pression intraoculaire qui peut aboutir à une cécité totale). Souvent leurs enfants ou petits-enfants les guident au moyen d'un bâton. Certains sont en route depuis plus d'une semaine et s'affaissent épuisés une fois arrivés au village où ils seront hébergés par la population locale pendant les prochains jours. Entre-temps, le matériel médical a été déchargé du canot. Le microscope de voyage de Richard, placé dans une valisette rigide de samsonite, un laser, un récipient de stérilisation, des lentilles intraoculaires, un petit générateur pour produire de l'électricité, des boîtes entières de lunettes de seconde main hongroises, tout cela est transporté sur la tête de quelques 'volontaires' désignés par le chef du village. La table d’opération fabriquée par un menuisier de Lusambo balance sur la tête d'une villageoise courageuse qui l'amène au presbytère. L’équipe établit une antenne chirurgicale en moins de temps qu’il ne faut pour le dire et les consultations démarrent le lendemain.

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Cécité des rivières
Après une demi-heure le docteur Richard secoue tristement la tête. “Je n'ai jamais vu cela auparavant. La santé des yeux des habitants de cette région est dramatique. Outre la cataracte et le glaucome, beaucoup souffrent de la cécité des rivières, une maladie qui mène à une cécité irréversible.” La cécité des rivières ou onchocerchose sévit surtout dans les régions aux cours d’eau agités en Afrique centrale et de l’ouest. La maladie est causée par un petit vers microscopique qui vit dans l’eau. Elle est transmise aux humains par la piqûre d'une mouche noire. Les larves migrent dans la peau où elles deviennent des vers et provoquent des lésions cutanées inesthétiques, accompagnées de terribles démangeaisons. Si le parasite atteint le nerf optique, une cécité irréversible peut apparaître.

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Tel est aussi le cas de Papa Muteba. Médard Musongula, l'assistant de Richard, lui avait déjà dit qu'il ne pourrait retrouver la vue mais pourtant, Papa Muteba espère qu'un miracle se produira. “Peut-être pouvez-vous tout simplement me donner de nouveaux yeux ?” demande-t-il. Richard Hardi tente de trouver des mots pour consoler le patient. “Seul Dieu peut créer, moi je n'ai que la science pour aider les malades.”. C'est le début d'une journée de travail harassante. L'idée qu'une situation aussi dramatique aurait pu être facilement évitée est insupportable. Un médicament, le Mectizan, permet de lutter efficacement contre la maladie. La distribution gratuite de Mectizan est assurée grâce à un programme de l'Organisation mondiale de la Santé. L'assistant Médard croit que les deux tiers à peine de la population se protègent contre la maladie. “La superstition est toujours vraiment présente ici et beaucoup d'habitants craignent les effets secondaires du Mectizan et croient qu'ils vont en mourir.” Tel est par exemple le cas de Kimpe Luanyi, une petite vieille au visage ravagé et le dos noueux, qui refuse de prendre le Mectizan. Elle voit de moins en moins mais a trop peur pour prendre le médicament. Avec de grands gestes elle explique pourquoi : “Je n'ai essayé qu'une seule fois d'avaler ces pilules et j'ai cru que j'allais en mourir. J'ai eu de la fièvre pendant plusieurs jours, je n'ai pu travailler ma terre pendant deux semaines.”

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Des chants grégoriens
Trois jours après notre arrivé à Pania et après 250 consultations, vient le premier jour de chirurgie. Richard et son équipe se préparent à réaliser un nombre record d'opérations car 27 patients souffrant de la cataracte attendent dehors.

Un autocollant blanc sur leur front désigne l'œil à opérer. Alors que le premier patient s'installe lentement sur la table d'opération, Richard Hardi se livre à un dernier rituel avant de commencer à opérer. Il installe son iPod et sa station d'accueil et des chants grégoriens retentissent dans la salle d'opération improvisée, au beau milieu de la brousse congolaise. Richard rayonne, il est en pleine forme. “Nous sommes fiers de notre travail parce que nous donnons des soins oculaires de qualité, même ici dans la brousse.” Je pratique actuellement des incisions de 2,2 mm pour enlever le cristallin opacifié et implanter la lentille artificielle ; aux Etats-Unis, ces incisions sont actuellement de 2 mm. Nous donnons donc aux plus pauvres des soins proches de la qualité optimale dans les pays occidentaux !” nous dit fièrement Richard.
Vers midi, la température commence à monter dans la petite salle d'opération.

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Toutes les entrées d'air ont été bouchées pour assurer la stérilité du local et les machines produisent elles aussi de la chaleur. Il fait certainement plus de 40°. De plus, le docteur Richard et son assistant de longue date, l'infirmier Patient, portent des vêtements de travail stériles chauds mais personne ne se plaint. Tous deux travaillent en parfaite synchronisation et il leur faut en moyenne dix minutes pour pratiquer une opération de la cataracte. Ils ne sont distraits que brièvement, lorsque des cris retentissent à l'extérieur de la salle d'opération ; un infirmier passe la tête par la porte pour voir ce qui se passe. “Rien de grave docteur, les gens viennent tout juste de tuer un serpent venimeux. Tout danger est écarté” ajoute l'infirmier. Lorsque le dernier patient quitte la salle d'opération muni d'un pansement oculaire, l'obscurité tombe et la colonie de chauves-souris s'envole à la chasse d'insectes. Mais la journée n'est pas terminée pour le docteur Richard. A sa sortie, il change de chemise et recommence à travailler, à faire des consultations avec une lampe de poche.

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Une véritable métamorphose
Le lendemain matin les patients se bousculent pour arriver chez le docteur. Médard enlève d'abord doucement le pansement d'une grand-mère recroquevillée sur elle-même qui était pour ainsi dire complètement aveugle à cause d'une cataracte bilatérale. Elle cligne des yeux et un sourire apparaît lentement sur son visage car, pour la première fois depuis des années, elle peut voir sa fille. Elle se confond en remerciements. Une fois sortie, l'enthousiasme se déchaîne. Les spectateurs l'acclament, le docteur Richard sourit et poursuit ses contrôles. “Ici, je sens vraiment que je peux faire la différence dans la vie des malades” dit-il. Le lendemain nous assistons au départ de la grand-mère. Le bâton qu'utilisait sa fille pour la guider lui sert à présent de canne. Une véritable métamorphose !!! Le docteur Richard opère encore une journée et ensuite repart comme il est arrivé, en toute simplicité. Il s'arrête une dernière fois pour prendre une photo et regarde la jungle à l'horizon et s'exclame : “C'est tellement beau ici !”